Les débuts du fanzinat manga (1990-1994)
L’actu du fan de cette époque
1990-1991 : Mangazone, Animeland et Sumi Joohoo
1992-1994
1995-1999

Les débuts du fanzinat manga (1990-1994)

L’actu du fan de cette époque

Akira sort au cinéma. Tonkam édite ses premiers mangas (Vidéo Girl Aï, RG Veda) qui vont nourrir une quantité astronomique d’articles de fanzines.

Parmi les séries qui vont marquer l’esprit des fans (fanzineux, cosplayers et les autres) : Bastard !! (manga JP 1988/ FR Glénat 1996), Magic Knight Rayearth (manga JP 1994 / FR 1996), X de Clamp (manga JP 1992 / FR 1997), YuYu Hakusho (manga JP 1990 / FR Kana 1997)…

En 1998, on commence à revoir des séries de japanimation de qualité à la télévision : Evangelion, Escaflowne, Utena. Toutes ces séries feront les unes de fanzines. Pokémon et Card Captor Sakura, destinées à un public plus jeune marquera la génération montante et s’épanouira plus dans les cosplay que dans les fanzines. Notons aussi que les animefans vont aussi s’approprier (malgré son origine non-nipponne) le dessin animé South Park (animé US 1997 / FR 1998).

En manga, je retiens deux gros succès qui fédèrent une grosse communauté de fans (et les activités qui vont avec : cosplay, fanart…) : Fushigi Yûgi (manga JP 1992 / FR Tonkam 1998) et Kenshin le vagabond (manga JP 1994 /FR Glénat 1998)

C’est dans les communautés de fans de comics, de jeux de rôles, de jeux vidéo/informatique (pas encore très distinct à l’époque1) et de cinéma de genre qu’on va trouver des gens qui commencent à s’intéresser aux mangas. Généralement, ils sont tombés par hasard sur une œuvre originale ou sur une traduction américaine et ils relient ça à leurs souvenirs d’enfance (Goldorak, etc..).

Les premiers rendez-vous entre ces fans éparpillés ont lieu dans des grandes écoles parisiennes et les références communes sont principalement liées à ce qui a été diffusé sur la 5 ou au Club Dorothée : Saint Seiya / Chevalier du Zodiaque, Dragon Ball (Z), Macross, Orange Road, Ranma 1/2, City Hunter, Sailor Moon

Cette première période, de 1990 à 1995, doit elle aussi être découpée en deux parties afin de rendre compte de l’évolution du fanzinat à ce moment-là.


1990-1991 : Mangazone, Animeland et Sumi Joohoo

Mangazone n°1 sort en Septembre 1990. C’est le premier fanzine français qui parle de manga… Enfin, presque ! Disons plutôt que c’est le premier fanzine français consacré aux mangas. Pourquoi cette réserve ? Parce qu’avant, il y a eu Scarce n°21 (dont j’ai déjà parlé précédemment).

Patrick Marcel, le créateur de Mangazone, nous raconte que le prix et la qualité des photocopieuses étaient incitatif. De nombreux fanzines sortaient et lui-même avait créé Manticora (consacré au cinéma d’horreur). Il rencontre l’équipe de Scarce et Jean-Paul Jennequin. C’est ce dernier qui fait découvrir le manga à Patrick Marcel : des tomes de Dragon Ball (dont l’animé commence à être diffusé en France en 1988 et le manga publié par Glénat à partir de 1993) traînaient sur ses étagères. Une visite de librairie japonaise achève de convaincre Patrick Marcel que la BD du Japon mérite un peu d’attention. Il décide donc de sortir un fanzine sur ce sujet : Mangazone.

Patrick Marcel raconte « Je me suis tout de suite emballé, parce qu'il y avait des tonnes de choses, de styles et que je ne savais où donner de la tête. J'ai décidé de créer une sorte de pendant à Scarce mais à un niveau beaucoup plus amateur, en publiant un fanzine format A5 pour parler spécifiquement des mangas, les bandes dessinées japonaises, mais absolument pas des animes, qui m'intéressaient aussi, mais pas au point de vouloir en parler. »

Le premier numéro est photocopié en 30 exemplaires. C’est un format A5 photocopié. Aujourd’hui, impossible d’en retrouver un exemplaire. Ça s’arrache ! Cela plait tellement que l’association SAGA qui est derrière le fanzine Scarce propose de l’inclure dans leurs publications. Cela change le format (de A5 on passe à un A4), l’exigence de qualité (la maquette demande plus d’attention et se fait désormais sur papier millimétré à la colle et aux ciseaux) et le tirage (qui passe de 30 à 500 exemplaires).

La numérotation repart à zéro (il y a donc un numéro un « 1ère édition » et un numéro un « 2ème édition »). Le public trouve vite le chemin vers cette publication qui comble un vide. Le retirage du numéro 1 s’impose. Le fanzine est déposé dans les librairies spécialisées. Les lecteurs les plus avides peuvent s’abonner ou commander des numéros à l’unité. Mangazone est même présenté sur quelques conventions et au festival d’Angoulême.

 Extrait de l’édito de Mangazone n°1 (2ème édition) : « J’avais employé, dans le premier MANGAZONE, le mot manga au féminin, sans doute par analogie avec l’expression bande dessinée. J’ai reçu un certain nombre de lettres s’en étonnant, tout en reconnaissant que rien ne l’interdisait, les mots japonais n’ayant pas de genre. Toutefois, je m’incline devant le verdict de la majorité. Désormais, j’emploierai manga au masculin. Dommage, j’aimais bien : « une manga »...

Animeland nait d’un autre projet : ce n’est pas le manga qui intéresse ces fans là, mais les dessins animés. On est à l’époque où la télé occupe une grande place dans la vie des français. Cela nourrit des débats, notamment autour des dessins animés : que faut-il censurer ? Que peut-on montrer aux enfants ? Une association s’est montée afin de faire entendre la voix des téléspectateurs dans ce débat : les pieds dans le PAF. Des membres rencontrent sur une convention de Science-Fiction des fans d’animés et leur proposent de participer à leur fanzine (encore en projet) en écrivant un dossier sur la japanimation. C’est de là que naîtra Animeland.

Sumi Joohoo est apparemment sorti en 1991 et c’est sans doute arrêté vers 1992. Je n’ai pas eu l’occasion de consulter des numéros et on trouve peu d’informations sur ce fanzine. Voici donc un petit condensé de ce qu’on apprend sur ce zine sur internet et dans les autres fanzines : Le premier numéro, le n°0 est sorti en 1991. C’est un fanzine d’article (ce qui à cette époque est la règle) qui coûte 15F par numéro et est dirigé par Gwenaël Jacquet. Je donne ici son nom entier, car il est devenu par la suite journaliste spécialiste du manga. Dans Tsunami n°6 (07/1993), on apprend que « l’association SUMI organise sa 2ème convention annuelle les 18 et 19 septembre 1993 [...] à Lyon. Le samedi 18, les portes seront ouvertes de 14 à 23h, le dimanche 19 et 10h à 19h. Au programme : concours de maquettes, stand de boutiques spécialisées, projections de dessins animés, vente aux enchères, exposition de cellos originaux et soirée karaoké. ». Kimagure Mangamag n°0 (1992) évoque plus rapidement Sumi-joohoo qui en est à son n°6 ou 7. 15F pour 20 pages en A5. Malgré le peu d’informations que j’ai, on peut dire que c’est un fanzine qui a compté (il est souvent cité lors des entretiens), notamment dans la région de Lyon (où il avait un ancrage local).


1992-1994

Les choses s’installent. Les fans ont trouvé des lieux de rassemblement. Le plus connu est la boutique parisienne Tonkam qui a commencé à publier sa revue Tsunami.


Okaz n°13 (mars 1994), dans l’article Tonkamania : « Combien y a-t-il de clients le samedi ? [réponse de Dominique Veret : ] Dehors ou dedans ? Au cours de la journée, il doit passer entre 400 et 600 personnes.

Les fanzines d’articles se multiplient et pas seulement à Paris. Il est encore possible d’en faire une liste qu’on peut estimer exhaustive. Le nombre de publication étaient encore limité et ils se citaient beaucoup entre eux.

Fanzine parus entre 1992 et 1994 :

  1. Mangazone (1990-1994)
  2. Animeland (1991 - 1995)
  3. Tsunami (1992-1997)
  4. Sumi Joohoo (1991-1992?)
  5. Vision Parallèle (1993-1995)
  6. l’Effet Ripobe (1992-1994)
  7. Manken Z (1992-1994?)
  8. Macross News qui deviendra E-News (1993-2001)
  9. Kimagure Mangamag (1992-1995)
  10. Piyo ( ?-?)
  11. Chibi Setsumei (1993-1996)
  12. Animéfan (1993-1999)
  13. Namida (1993 – 1997)
  14. SeiGanMag (1993- 1995)
  15. Amazing World (1993-1995)
  16. CDZ magazine (1993)
  17. Comic Strips (1993)
  18. Dirty mag (1993)
  19. Manga quest (1993)
  20. Otaku (1993)
  21. Made in Japan (1993)
  22. Amphétamine (1994)
  23. Animé Comics (1994)
  24. Kawaï (1994)
  25. Shogakun (1994)
  26. Toki Doki (1er du nom 1994)

Dans les chroniques de fanzines, il est souvent question de traductions pirates de manga (sans autorisation des ayant-droits). Hélas, je n’ai pas réussi à en consulter un seul ! On ne peut pas dire que ces traductions aient gênés les éditeurs pro : la qualité de reprographie et de traductions étaient souvent critiquées. Cette pratique a provoqué une levée du bouclier «légalité/moralité». En effet, les personnes qui commençaient à se professionnaliser dans le manga et la japanim’ craignaient que cela nuise à leurs rapports avec les éditeurs japonais. Ce qui est drôle, c’est que des éditeurs et revues5 de l’époque ont fait la même chose mais avec des tirages plus importants !

Les premiers dramas entre fanzines éclatent. Les raisons ne sont pas toujours perceptibles. Je soupçonne qu’il s’agisse parfois de conflits de personnes qui se prolongent au travers des publications. Cela dit, les propos sont souvent virulents. Les accusations questionnent le rapport de chacun aux mangas et à la japanim’ : qui a la passion la plus sincère ? Qui n’est là que pour s’enrichir ? Quels rôles doivent avoir les associations ? Quels rôles doivent avoir les boutiques ? Y a-t-il concurrence entre ces structures ? Est-ce que l’enrichissement de certains acteurs est bénéfique à la communauté (parce que cela permettra de diversifier l’offre) ? Est-ce que cela justifie certains tarifs ? Etc...

Ces questions se posent notamment parce que ce fanzinat naissant cherche encore son public-cible et son objectif.

En 1995, il n’y aura pas de vraie rupture dans le fanzinat d’articles, mais l’apparition de fanzines de BD amateurs va changer progressivement le paysage.


1995-1999

Animeland se professionnalise et d’autres magazines apparaissaient dans les kiosques dont Kaméha et Nishi Paradise. Le manga se développe chez les éditeurs et la télé rediffuse au compte-gouttes de la japanimation.
Les films Disney deviennent la némésis de la japanimation : d’abord parce que le Roi Lion est accusé de plagiat par les japonais qui y reconnaissent le Roi Léo de Tezuka, ensuite parce que les dessins animés de Disney sont à l’exact opposés de la japanimation en France : 
Les dessins animés de Disney Les dessins animés japonais
  • Fait par des américains
  • Validés par les parents
  • Cible un public familial
  • Contenu toujours consensuel
  • Largement diffusés
  • Fait par des « bridés »
  • Condamnés par les adultes
  • Cible un public adolescent
  • Contenu parfois provocateur
  • Diffusion de niche

Evidemment, c’était une position de principe qui n’empêchait personne d’aller voir (et d’aimer) les long-métrages de Disney au cinéma. On se trouvait malin de faire un discours critique sur Dinsey devant des adultes qui ne connaissaient pas la diversité des animés japonais.

Ni-Hao n°1 (1995) article « Nous, les otakus » : « Nous sommes nombreux à aimer les dessins animés japonais en France. Nous serions encore plus nombreux si certains otakus honteux se décoinçaient. C’est dingue le nombre de personne que j’ai pu rencontrer qui n’osait pas s’avouer qu’ils aimaient ça ! Pourquoi ? Parce qu’ils ont plus de vingt ans ? Et alors ? Je n’ai jamais eu honte de dire à mes camarades de classe que je regardais les « chevaliers du zodiaque » en 1989. ça riait dur et on se foutait de moi sans arrêts. Même que parmi ceux qui se payait ma pomme, certains regardaient la série en cachette (comme on fume dans les chiottes quand on a 12 ou 13 ans). »

Le monde professionnel offre des rendez-vous aux fans :

Pourtant, malgré toutes ces opportunités de rassemblement, beaucoup de fans sont encore isolés comme le prouve cette lettre d’Anna de Strasbourg, publiée dans Kaméha n°11 en juin 1995 : « Cher Sushi Man, j’écris à la suite de la lecture de la lettre de Clément de St Florentin, parue dans KM n°9. J’ai le même problème que lui : dans mon lycée, on me regardait d’un air bizarre quand je disais que j’adorais tout ce qui se rapporte aux DA japonais. Alors je préfère m’écraser. Je suis en terminale littéraire et probablement la seule de ma classe à m’intéresser à cet univers. Alors si d’autres que Clément et moi sont dans la même galère, dites-le !!! ». Cet isolement est toujours causé par la mauvaise image de la japanimation. En janvier 1997, Kaméha n°17 cite un article publié dans le Nouvel Observateur pour évoquer le racisme latent et les préjugés sur tout ce qui est japonais : « un raz-de-marée de bandes dessinées, à très bas prix, arrive sur le marché français. Malgré un mauvais graphisme et un univers manichéen où le bien et le mal servent d’alibis à un déferlement de violence, c’est le succès… Des japoniaiseries avec des histoires interstellaires et bêtise bien terrienne »

Ce qu’on trouvait sur Minitel à l’époque
Ni-Hao n°1 (1995) article sur les serveurs minitel : « [Ce serveur] propose tous les trucs basiques des serveurs : BAL, dialogue en direct (très cool surtout le mercredi après-midi où chacun échange son opinion sur le DBZ du matin), des P.A, du téléchargement, des jeux, des tips pour les jeux vidéos, etc... »

Le rôle des revues de jeux vidéos
Les années 90 ont aussi vu émerger une presse autour des jeux vidéos. Ces revues (dont Tilt, Joypad, Player One, Supersonic, etc) ont joué un vrai rôle dans la constitution de la scène manga française. C’était les seuls à parler régulièrement de manga (il y avait des dossiers sur ce sujet ou des chroniques. Cet intérêt vient peut-être du fait que les jeux vidéo et les mangas ont en commun leur pays d’origine : le Japon qui adore faire des adaptations de manga en jeux vidéos, mais aussi de jeux vidéos en mangas. Le magazine Player One (souvent accusé de faire des couvertures racoleuses avec du Dragon Ball Z) a d’ailleurs créé une revue entièrement au manga : Manga Player (de 1995 à 1999).