L'ère de la photocopieuse
Plus de rassemblement, plus d’activités de fans
BD Expo
EPITA
Cartoonist
Japan Expo
Harajuku
Le rôle d’Internet et des nouvelles technologies
La raison d’être des fanzines n’est plus aussi évidentes que dans les années précédentes et les conventions coûtent chers. Les fanzineux vont donc tout naturellement développer les goodies et le fanart. En effet, les fanzines se vendent de moins en moins (sauf ceux qui mettent en couverture la série à la mode ou DBZ) et de tout façon, ils sont souvent vendu à perte. Dans les échanges entre fanzineux, on échange sur ces sujets et très vite tout le monde se met à proposer des cartes et des posters. Le fanart est aussi une façon d’attirer le public sur son stand. A l’époque, c’était critiqué. Je me souviens qu’en 2005 sur le festival GAME in Paris, un fanzineux dépité par les jeunes fans de Naruto qui ne s’approchent pas de son stand a fait un dessin de ce personnage de manga (en couleur !). Ça marche tout de suite : un jeune garçon vient le voir pour savoir combien coûte le dessin. Le fanzineux répond que le dessin n’est pas à vendre, mais que s’il lui prend un fanzine, il lui donnera comme dédicace. Le gamin hésite puis refuse. Le fanzine coûtait 2,5€.
La première promesse d’un débouché pro pour les dessinateurs amateurs se profile en 2000 : Tonkam lance le concours de BD et d’illustrations Tsuki. A gagner ? Une publication avec un contrat d’édition. Le thème ? « les anges ». Tous les fanzineux vont travailler sur ce thème, beaucoup de leurs BD passeront finalement dans les pages de leurs fanzines3.
Japanese Stories n°5 :
Compte rendu Japan Expo 2004 : « Ce salon est devenu un jeu des
chaises musicales géantes. Je m’explique : vous devez savoir à
l’avance ce que vous allez faire, où se déroule l’activité en question, et
y courir parce qu’il n’y a pas de place pour tout le monde. En gros,
vaut mieux y aller seul ou avec des sportifs. » (p 33)
« En effet, quand on me dit que je paye 10€ la journée, ce qui est
déjà EXTREMEMENT cher, j’aimerais pouvoir rester toute la journée. Or là,
une fois que vous sortirez, vous ne pouviez plus rentrer. » (p.34)
Compte rendu de JackPot (p. 35) : « Comme toute association
fanzineuse, nous avions terminé le fanzine – notre premier numéro – à
peine trois jours avant la convention,
au prix de journées entières de travail acharné et de sacrifices de
sommeil, avec pour principale motivation ce moment où il serait là, sur le
stand, pour vous cher public !! Pour le fanzineux lambda, le
stand représente un certain accomplissement et en même temps une étape
cruciale : en effet, c’est LE test de la viabilité du fanzine, la
rencontre de ceux avec qui l’on souhaite partager ses passions et son
travail : VOUS ! […] j’ai comme tous les ans
particulièrement apprécié les nombreux fanzines présents, dont le niveau
s’est notoirement amélioré depuis ses dernières années ; en effet on
trouve maintenant parmi les fanzineux pas mal d’étudiants en grandes
écoles d’art ou d’animation ainsi que des autodidactes très prometteurs,
ce qui fait plaisir à voir ! Cependant on pourrait
éventuellement regretter que, de ce fait, une certaine barrière se soit
créée entre les exposants et le public ; en d’autres termes, certains
fanzines ont clairement la grosse tête et semblent quelque peu oublier
qu’ils sont eux-mêmes issus de la foule de fans qui se présente en face
d’eux ! Par exemple, j’ai été particulièrement refroidie par
l’attitude d’un exposant dont j’apprécie énormément le travail et dont je
voulais acheter la BD ; la froideur de son ton lorsqu’il m’a
répondu alors que je le questionnais avec enthousiasme sur l’échéance de
la suite de son histoire m’a tout simplement fait faire demi-tour sans
rien acheter ! »
La récompense pour le « meilleur » fanzine ? Des prix du « meilleur » fanzine ont existé et existent toujours. Ils ont toujours eu assez peu d’audience malgré la volonté des lauréats de valoriser leur prix. En général, le prix était décerné par une convention (BD Expo et Japan Expo). Vu l’intérêt que cela a suscité, impossible de remettre la main sur une liste exhaustive. Voici quelques fanzines qui ont reçu des récompenses (de mémoire, selon eux, selon Animeland) : Dream On et Ultra Sushi (ex aequo en 1999), My City, Freestyle, Wata Castle Art, Mokona, Les enfants du Soleil (2ème prix du concours de fanzine à Japan Expo en 2002)
BONUS : Tableau : Liste des conventions française entre 1999 et 2007
Kalahan : En 1994, quelque chose comme ça, j’ai été à
mon premier BD Expo. Il y avait des pub (à l’époque je lisais Player
One). A l’époque c’était à l’espace Austerlitz. C’était 99 % de
bandes dessinées et Tonkam et une boutique japonaise. Tu pouvais acheter
deux tickets différents : un pour visiter la convention
et un pour la salle d’animation. Nous on était fauché, donc on a
fait juste la salle et on voit les stands de boutiques où j’achète le
dernier volume de City Hunter (en japonais, les éditions j’ai lu
n’avait pas acheté les droits à cette époque là). On fait vite le tour
parce qu’il n’y a rien à faire. On redescend et on demande si on peut
aller dans la salle d’animation. C’est Tonkam qui projetait des animés
sur Laserdisc et des concerts de J-Rock (J’ai vu mes premières
images de X-Japan à ce moment là). Il y avait des trucs comme Mamono
Yohko Hunter.
Comme tout le monde, je me souviens de Bercy Expo (on avait une navette depuis le métro, car la ligne 14 n’était pas encore ouverte), du « mur de Berlin » (la séparation entre le coté Franco-belge et le coté Manga), je me souviens du contraste sonore entre ces deux espaces, je me souviens des commentaires des lecteurs de Franco-belge que je pouvais entendre quand j’allais me promener de leur coté. Les cosplays étaient sur une pauvre estrade qui parfois ne permettait pas au groupe de faire sa prestation ! Les discussions avec les visiteurs et les voisins de stands, les photos de groupe, le partage de la nourriture, les délires autour de nos séries fétiches… L’événement n’était pas si grand. Alors tout ceux qui ont été à BD Expo jusqu’en 2000 partagent les mêmes souvenirs.
« […] il était quasi-impossible de dessiner sans se détruire les yeux à moins d’être sous une lampe, mais à 1,085 Frs le poste électrique… ça fait drôle ! Déjà, un fanzine doit débourser 500 Frs pour une table et des conditions d’installation précaires (à moins d’être du côté Franco-Belge), c’est cher payé l’inorganisation. » Article BD Expo’97 : la déception monumentale dans SD Comics n°5 (automne 1997)
Animate n°7 (1998) : [à l’adresse d’Olivier Gilbert, organisateur de Cartoonist Toulon] “Votre festival Cartoonist, bien que très intéressant, comporte de grosses lacunes, telles le manque de liberté, l’absence de karaoké, le désintérêt vis-à-vis du client ou encore le manque d’”amateurisme”. Beaucoup de fans seraient près à vous aider pour remédier à cela, pourquoi ne voyez-vous pas avec eux, comment améliorer votre festival ?”
Angel Dust n°3 : Le public de cette année fut moindre pour plusieurs raisons, notamment les grèves de train survenues la veille de ce festival mais aussi du fait d’un léger problème de communication pour l’ampleur qu’il souhaite donner à leur festival.[…] Et surtout, il faut qu’ils évitent d’annoncer la venue de gens qu’ils n’ont pas encore contactés, et donc de changer les noms des invités, tous les mois. » (p.27)
Dans l’ouvrage d’Olivier Gilbert, il dit (comme s’il répondait à cette remarque, peut-être l’a-t-il lu ?) : « Certains ont vraisemblablement oublié que l’équipe du festival n’est constitué que de bénévoles dont aucun n’est professionnel de l’évènementiel. Du président au fan venant donner un coup de main lors du week-end fin avril, la totalité du staff est bénévole et aucun n’est rémunéré. » (p.72).
SD Comics n°7 (1999) sort les chiffres de Cartoonist 99 : 10 000 entrées en 3 jours. EPITA est une semaine après Cartoonist (d’où l’article dans ce fanzine : « Cartoonist VS Epita »). Pour SD Comics, l’atout de Cartoonist est d’avoir des invités prestigieux. Cependant, le festival Cartoonist n’est pas aussi idyllique qu’on pourrait le croire en lisant l’ouvrage d’Olivier Gilbert si on en croit l’anecdote racontée dans cet article de SD Comics : « Bref, quelle joie… jusqu’à ce que, vlam, je réalise que cette convention n’est pas faite pour s’amuser. L’une des autres attractions d’une convention est le karaoké ; à Cartoonist il n’y en avait pas, alors quelques fans ont décidé de mettre un peu d’ambiance en entonant les refrains habituels, et là, il s’avère que tout débordement de joie soit intoléré à Toulon. Certes, ces fans chantaient parfois un peu trop fort (à le gueuler comme un slogan), et ne jugeaient pas la portée de leurs cordes vocales, dans ce cas là, le palais Neptune étant assez grand, il y avait possibilité d’ouvrir une salle pour le karaoké, ainsi en retrait, ils n’auraient pas « gênés » le reste du public… Résultat : expulsés avec interdiction de revenir… (heureusement que l’on était samedi soir ! Et que de toute façon ils ne revenaient pas le lendemain, cause retour sur Panam). »
Rézine n°3 – chronique du fanzine Animate n°6 et 7 (1998) : « Passons par la rafraîchissante rubrique Anim’Potins avant de dévorer la chronique consacrée à Cartoonist 98, qui aura pêché par par la pauvreté de son ambiance et de ses projections ; tout juste racheté par la présence de la grande Akemi Takada."
Didizuka (entretien) : « Cartoonist 2002 se déroulait à paris; ce fut la première fois que je montais à la capitale, en TGV, découverte de cette vie citadine. Je n'étais pas seule, j'y suis allée avec Yahoc (pseudo), l'une des membres du zine. Nous avons dormi à Ris-Orangis chez la soeur de mon petit copain. J'en garde un très bon souvenir car ce fut une première fois : cosplay, maquettes, manga en japonais à foison dans des cartons, CD de zic nippones... J'ai discuté avec pas mal de personnes sur le stand et dans les allées. Fofolle *1000 ! Et c'était la grande époque de Trigun... j'ai conservé une photo d'un jeune homme habillé en Vash the stampede :3. Par contre, le truc nul fut la soirée au Planet Hollywood qui n'eu jamais lieu. On a poireauté sur le lieux du RDV, et rien. »
Bonus : Les différents éditions du festival du Cartoonist (sources : Animeland n°70)
Japanese Stories n° 5 (p.
37) : les dix commandement pour faire un bon salon :
1. Ton ou tes billets à l’avance tu prendras
2. D’un max de sous ta bourse tu rempliras
3. Ton pique-nique tu prépareras
4. Un ou des très grands sacs, tu emporteras
5. Dans les files d’attente jamais tu ne pousseras (ça ne sert à rien!)
6. Des chansons (débiles) tu chanteras
7. Pleins de fanzines tu achèteras
8. Au cosplay
assiter tu essaieras
9. « La roue, la roue !!! » tu hurleras
10. Des tonnes de nouveaux copains tu rencontreras
Il me paraît important de tout de suite parler d’un point délicat : doit-on dire « je vais à la Japan Expo » ou « je vais à Japan Expo » ? Et bien, j’ai l’impression que cela dépend de votre âge. En effet, il y a quelques années, on ne se posait pas la question : on allait à Japan Expo. Aujourd’hui, dans les massmédias, j’entends « ils vont à la Japan Expo » et les fans les plus jeunes reprennent ce vocable. Maintenant que ce point fondamental a été évacué, voyons un peu les liens entre ce festival et le fanzinat.
Le premier lien est plus qu’évident, puisqu’à la base, il y a une association qui s’appelle S.D.F.C. En 1996, les membres décident de faire un fanzine d’articles qui s’appelle Angel Dust. En 1998, l’association change de nom et devient JADe (Japan & Animation Development) dont le but est « promotion de la culture japonaise, essentiellement à travers son animation et sa bande dessinée, sans pour autant négliger les différentes contributions internationales dans ces deux domaines, ainsi que tout ce qui s'y rattache de près ou de loin ». JADe va porter quelques temps le fanzine, mais aussi s’orienter vers l’organisation d’événements. Elle s’associe à EPITANIME et participe à la convention de l’EPITA. C’est d’ailleurs là qu’apparait le nom JAPAN EXPO. Après quelques années, l’association a acquis suffisamment d’expérience pour voler de ses propres ailes et, le 29 juin 2001, on voit apparaître à l’espace Austerlitz à Paris, le premier festival Japan Expo (distinct de l’EPITA).
Evidemment, les fanzines sont présents.
Ce festival va régulièrement déménager pour s’agrandir. Son ascension en a fait LE festival de manga et de japanimation français. Villepinte, c’est notre Cannes, notre Angoulême !
Tout le monde n’aime pas Japan Expo, mais tout le monde va à Japan Expo. Pourquoi ? Parce que tout le monde va à Japan Expo. On y retrouve les copines et les copains qu’on ne voit qu’une fois par an. C’est un moment incontournable. Le nombre de visiteurs est la garantie de ventes pour le fanzineux et cela permet pour les organisateurs de l’événement (qui aujourd’hui sont en entreprise et non plus en association) de justifier le prix des stands.
Les prix sont élevés, mais paraissent encore acceptables pour les exposants qui souvent réussissent à rentabiliser (notamment en partageant le stand). Et puis, finalement, les autres festivals ont aussi des prix en hausse, sauf que ces nouveaux événements ne peuvent pas garantir la même fréquentation.
Ce discours sur le coût du stand va évoluer avec l’apparition des stands « jeunes créateurs ». En effet, pour un prix trois fois plus élévé, il est possible d’avoir un stand plus grand, mieux équipé et mieux placé. Conséquence : des fanzines ont fait le choix de quitter les allées réservées aux amateurs pour aller dans cet espace. Un autre privilège a aussi été accordé aux « jeunes créateurs » : ils n’ont pas de limite de prix. Depuis quelques années, Japan Expo impose une charte aux exposants amateurs (qui ne concerne pas les stands « jeunes créateurs ») : pas le droit de vendre à plus de 12€ et un avertissement sur le fanart* (Japan Expo tolère que les amateurs vendent quelques fanarts*, mais cela ne doit pas dépasser 10 % de ce qui est sur le stand).
Vous avez sans doute l’impression que je fais court pour un festival qui a une telle importance. C’est vrai, mais en même temps, son histoire se mêle à celle de la Japanim’ en France. Entre les amateurs et Japan Expo, c’est une relation faite d’amour et de haine et d’interdépendance : Japan Expo a eu besoin (comme tous les festivals) des fanzineux, aujourd’hui, le rapport de force s’est inversé.
Pour finir, précisons que les affiches de Japan Expo ont majoritairement été dessinées par Aurore Demilly (aujourd’hui dessinatrice de BD, mais surtout à l’origine du fanzine MyCity).
Les éditions Delcourt ont
organisées de 2001 à 2009 un événement festif à coté de Bercy Village (un
parc, une boutique Album pour vendre des BD…). Il y avait pleins d’auteurs
pro en dédicaces. Un jour de 2003, l’éditeur (qui a depuis peu sa
collection manga, lancée en partenariat avec Ataka, constitué d’anciens de
Tonkam) fait signe aux fanzineux : pour le prix de la location du
matériel (table et chaises), il était possible d’exposer en plein air dans
le square adjacent l’espace de dédicaces. L’association Méluzine va être
appelée pour gérer cet espace dédié aux publications amateurs. Ce festival
a depuis ses débuts lieu en septembre et tombe régulièrement sur le week
end des journées du patrimoine. Les fanzineux ont donc l’occasion de
rencontrer un public différent, moins otak’.
Conséquence ? Quand Delcourt décide d’arrêter son festival (en 2009),
des fanzineux (Aujourd’hui l’équipe organisatrice est constituée de
Nephyla et Castel de MdM Production/Raxxon,
zeDew de EnTravo et Kalahan
de Yumyum Studio. A l’origine, il y avait aussi Chibilou) se montent en association pour
que l’événement perdurent.
Présentation sur le site actuel20: « Né il y a 16 ans, Harajuku est le seul festival manga parisien gratuit pour ses visiteurs et en plein air. Il rassemble fanzines, cosplay, activités autour du manga, dans le cadre idéal du Parc de Bercy, et dans une ambiance détendue. »
Pour info : en 2018, Le stand d’1,80 m (une table et deux chaises) coûtait 45 euros. Par contre, la demande est importante, il faut être au taquet et renvoyer très vite son dossier pour espérer avoir un stand. C’est pour ça que durant l’été, les fanzineux les plus acharnés restent connectés aux réseaux sociaux.
Le rôle d’Internet et des nouvelles technologies
Ni-Hao n°5 (1997) : « Après les téléphones portables, Internet, la télévision par satellite et les messageries de poches, voici le nouveau gadget inutile à la mode : le Tamagochi. » (dans un article contre la mode des tamagochi)
Gilles Broche des Enfants du Soleil le 10 mai 2019 : « Quand on est que fanzine (sans association) et qu’on traite d’un sujet pointu comme ça … pour se faire connaître c’est pas évident. Je pense particulièrement à Flashback TV (qui a dû faire 4 numéros, je crois). Il avait du mal à se faire connaître. Il brossait tout ce qui se faisait en émission jeunesse. C’était très intéressant et assez diversifié comme sujet mais pas forcément intéressant pour tout le monde, donc très difficile à placer. C’est dommage parce qu’il faisait ça d’une manière très pro. C’est peut-être lui d’ailleurs qui nous a donné l’idée de faire ce niveau de qualité. Je me souviens avoir vu son premier numéro (le n°0) et il m’a dit qu’il l’avait fait sur word ! Wouah ! Une qualité pareil pour une mise en page faite avec Word ! Respect ! »
Mais dis-moi, comment faisait-on avant l’arrivée d’internet ? Je crois qu’à travers les anecdotes de cet ouvrage, vous entrevoyez la réponse. Mais on va quand même s’attarder sur le rôle de ces technologies sur le fanzinat manga car le développement de l’informatique a fortement impacté les publications amateurs.
En fait, sans démocratisation de la photocopie, il n’y aurait pas eu autant de fanzines. Les maquettes se faisait avec des ciseaux et de la colle (même pour les fanzines d’articles, le créateur de Mangazone le raconte), on mettait ce montage artisanal sur la vitre et on appuyait sur le gros bouton vert pour faire des copies ! Et là on s’apercevait qu’on n’avait pas tenu compte de la marge de la machine, qu’on a inversé les pages de gauche et de droite, que le recto verso est à l’envers et/ou qu’on a oublié qu’il fallait faire un nombre de pages multiple de quatre pour ne pas avoir de pages blanches !
Normalement, si vous avez connu cette époque, vous reconnaissez au moins une boulette que vous avez commise21.
Ensuite, les ordinateurs domestiques se sont généralisés. On a pu faire de la mise en page sans tube de colle (certains avec Word, d’autres avec Publisher. Des fanzineux m’ont filée une version crackée de QuarkXpress. J’ai aussi entendu parlé de Page maker… plus tard, certains feront la mise en page directement sur Photoshop). Et puis, on pouvait retoucher les dessins, voire les coloriser. En regardant des fanzines de la fin des années 90-début 2000, on voit les trames faites à l’ordinateur. Les imprimantes couleurs arrivent aussi dans les foyers et cela encourage les fanzineux à faire des couvertures couleurs. Dans l’édito du Shôjo Kakumei n°11 (2001) les rédactrices en parlent: « Et pour l’instant la cartouche d’encre est morte et donc pas de couv… m’enfin on va réussir à trouver une imprimante quelque part. ». De même, Gauvain du fanzine Ikki m’a avoué qu’eux aussi, ils imprimaient leurs couvertures couleurs sur leur imprimante maison. A l’époque, j’avais fait le calcul, cela ne m’avait pas semblé intéressant, mais je pense que psychologiquement, ça passait mieux.
Ni-Hao n°3 (1996) dans l’ours : « Machine utilisée à l’élaboration de ce fanzine : BROTHER LW-200 » C’est-à-dire, une machine à écrire électronique avec un traitement de texte intégré.
Les photocopieuses aussi évoluent. Je ne sais pas à quoi cela correspond, mais à l’époque on disait « photocopie numérique » pour dire qu’il y avait des niveaux de gris. Mieux ! On peut même apporter un fichier chez le photocopieur pour qu’il imprime nos fanzines. Plus besoin de tirer un master ! Evidemment, cela amène d’autres problèmes : le fichier est illisible parce que ce n’est pas le bon format, les images (voir les textes!) sont pixellisés parce qu’on a compressé pour que ça tienne sur le support.
Et enfin, arrive l’ère actuelle de l’imprimeur en ligne : on envoie un fichier PDF et on reçoit un carton pleins de fanzines ! Fini la corvée du façonnage (qui était souvent nocturne) qui suivait la journée passée à COREP (où l’on croisait les autres fanzineux à la bourre). On ne voit plus aujourd’hui de fanzineux agrafant son zine sur le stand… Cela veut-il dire que le fanzineux d’aujourd’hui dort mieux ?
Cependant, l’informatique n’a pas uniquement boulversé la fabrication du zine, mais aussi sa conception. En effet, en 1999, des fanzines sur CD-Rom apparaissent (comme Net Animation ou Yu Média Mix, mais il y en aura pleins d’autres). Cela permet de voir des vidéos (internet n’était pas encore très rapide, ni partout) mais il y avait souvent des problèmes de compatibilité. Perso, je me souviens que sur deux des trois CD-rom achetés, je ne voyais pas l’interface. Je regardais les contenus multimédia indépendamment en me baladant dans l’arborescence. Je me suis passée en boucle les trois openings contenus dans le CD. Quand j’ai voulu les re-regarder quelques années plus tard, j’ai été horrifiée par le niveau de compression ! C’était tellement pixellisé ! Mais à l’époque, cela ne m’avait pas choqué.
Les Tchatters du minitel passent sur internet : Tchat de Caramail, IRC… Les correspondances écrites disparaissent au fur et à mesure. Les forums se développent sur les sites de fanzines (je pense à celui de Furyo) permettent de maintenir un lien au-delà des conventions. On peut notamment cité le FRA : fr.rec.anime,un forum consacré à la japanimation et aux mangas. Je jetais un œil de temps en temps : ça s’engueulait souvent. J’y voyais des pseudo de fanzineux parfois.
Et la question se pose aussi pour les fanzines : Pourquoi dépenser de l’argent, alors que je peux créer un contenu gratuitement sur les pages perso fournies par mon fournisseur d’accès ! On trouve des adresses URL en multimania, en free.fr, en pagesperso… Finalement, ce sont des pages qui sont encore en ligne aujourd'hui. Elles ne sont pas payantes, personne ne s’inquiète de leur devenir (et moi elle me servent bien pour reconstituer des choses que ma mémoire a oublié) et elles sont sans pub ! La philosophie d’internet était tout autre ! Les adresses postales, autrefois indispensables, ont disparu des zines qui n’indiquent plus que leur adresse internet où un paiement en ligne est possible.
Dans mon entretien avec Didizuka, elle raconte qu’elle a complètement arrêté de faire Crucify après une transition du papier au numérique (de 2008 à 2013) : «Face à l'arrivée de tous les fanzines avec de gros moyens (et leurs façonnages somptueux) ça a été le gros déclin des zines photocopiés. Je l'avoue, ça m'a un peu découragée. Plusieurs de mes camarades avec qui je participais dans d'autres zines ont aussi arrêté au fur et à mesure. J'ai donc arrêté, à regret » .
Les fanzines veulent des sites internet et donc ils recrutent en conséquence. En février 2005, le zine Japanese stories n°5 passe une annonce pour trouver des membres et notamment un webmaster, alors qu’en 1994, Manken Z n°1 (avril 1994), recrutait des « clavistes » pour taper les textes des rédacteurs. Je pense que cela vous permet de visualiser quelques un de ces changements.
C’est au n°4 d’Ikari no Ryu qu’un site « ouèbe » est annoncé. INR fait partie de ces fanzines qui apparaissent à la période (Ikari no Ryu = de 1997 à 2000) où internet se démocratise. Le lien entre le support papier et le support numérique n’était pas évident. Aujourd’hui, le site internet est une vitrine et a un rôle marchand évident. Mais, en l’an 2000, on croyait réellement à la bibliothèque universelle et gratuite. Wikipédia22 est l’un des seul vestige de cette époque. Les fanzineux comme Robin d’INR, devait apprendre à faire un site web (souvent on utilisait Frontpage de Windows, le logiciel Dreamweaver ou le bloc-note pour taper du code HTML), mais aussi réfléchir au contenu. Peu de fanzineux ont mis leurs publications entières sur le net. D’abord pour des raisons de cohérence (faire payer à certains ce qu’on met gratuitement à disposition de tous), mais aussi pour des raisons techniques (les hébergements étaient avares en espaces et le chargement des images pouvaient être un vrai problème à cette époque).
Il n’empêche que dès les débuts d’internet, avoir son site internet était symboliquement très important.
On retrouvait souvent les mêmes choses que sur tous les sites amateurs de l’époque : un compteur de visiteurs, un forum et/ou un livre d’or, une partie news qui servait à indiquer les nouveautés mise en ligne, du texte alternatif dans le cas (assez courant) où l’image ne s’affiche pas), une page d’entrée avec un logo (ou équivalent) sur lequel cliquer pour entrer dans le site (il n’y a plus que les site pour adulte qui font ça maintenant) et la galerie de fond d’écran à télécharger.
L’autoformation et le partage sont de rigueur, surtout que pas mal d’informaticiens traînent sur les conventions (ne serait-ce qu’à EPITA, qui est leur fief ! ). Et si vous êtes attentifs aux URL écrites dans les vieux zines (entre 1999 et 2012), vous trouverez énormément d’adresses finissant en « .fr.st » (Méluzine pendant un temps, mais aussi Japanese stories, KJO, Furyo, Tangle et pleins d’autres). C’est une terminaison donnée aux sites de Sao Tomé-et-Principe (un pays constitué de deux îles au large de la côte ouest de l’Afrique équatoriale). Voulant absolument faire pro(pre) sans dépenser le moindre sous, beaucoup de fanzines ont fait leur site sur des hébergeurs gratuits et on fait des redirections en .fr.st. Je pense ne pas me tromper en disant que Gérald et Méluzine ne sont pas étrangers à la propagation de cette info (en tout cas, moi, je me souviens que c’est Gérald qui me l’a dit!).
Sachant que beaucoup de fanzineux se mettent en scène dans leur fanzine, l’ordinateur, outil de création et d’échanges, devient aussi un acteur de la fabrication du fanzine. Il n’est donc pas rare de le voir citer dans les remerciements (ou dans les « je ne remercie pas »), apparaître dans des strips ou entendre parler de sa santé dans les éditos comme dans celui de Seish dans Oshabel(r)i n°12 : « Avant toute chose, il faut que vous sachiez que c’est la deuxième fois que j’écris ceci ; un grave accident nous est arrivé : nous avons failli perdre le fanzine (saloperie d’informatique… « achetez un ordi ça vous facilitera la vie » qu’i’ disait!), mais dans les méandres obscures du disque dur, il a fini par réapparaître miraculeusement au bout de trois jours ! Nous sommes donc sauvées mais nous avons quand même perdu quelques jours et une bonne poignée de cheveux aussi. »
1 - Personnage du manga Hunter X Hunter de Yoshihiro Togashi ↑
2 - On trouve de tout : de beaux bandeaux achetés dans la boutique spécialisée, mais aussi des fabrications maisons. Les éditions Kana distribuent des masques en carton sur certains salons autour de 2007. ↑
3 - Comme exemple, on peut citer Eden, un fanzine hors-série de l’association Kitsune qui faisait Chun li’s. Ce numéro contenait des BD non retenues par le jury du concours Tsuki. ↑
4 - Notamment parce qu’en convention, on se faisait des amiEs qui acceptaient de nous héberger. ↑
5 - Car oui, quasiment toutes les conventions font payer le stand aux fanzineux, sauf l’EPITA qui offrait le stand sous réserve de passer une pub dans les pages du fanzine et des festivals en région. Je me souviens que pour Cartoonist Paris cela s’élevait à environ 75 € pour un petit module. Le prix moyen doit être autour de 50€. ↑
6 - Difficile de connaître les dates d’inscriptions lorsqu’on n’a jamais participé.↑
7 - Je n’ai pas voulu m’attarder dans le texte sur cette anecdocte, mais là, puisque je suis en note de bas de page, je vais donner quelques détails de plus sur cette affaire. En vérité, c’est moi qui était à l’origine de cette idée. Dans l’année, je recontre un gars de l’EPITA. Je lui explique mon point de vue sur l’absence de regard des festivals sur les fanzines et sur le fonctionnement du festival de BD de St Malo (que nous avions découvert avec mon asso). Quelques mois plus tard, je découvre qu’il a effectivement décidé d’appliquer ce système, mais sans aucune communication sur les critères mis en place. Évident, moi, je n’ai pas eu de stand… Et on s’est beaucoup insulté par mail ! Tous les fanzineux avec qui j’ai discuté ensuite trouvaient cette « réforme » scandaleuse. ↑
8 - Cartoonist Paris à la Villette en 2002, je crois… Un souvenir incroyable ! Le festival était à cheval sur deux salles. Les visiteurs devaient faire la queue à l’entrée de chaque salle. Du coup, on a fait tourner les badges plus que d’habitudes… Les vigiles s’en sont rendu compte et ont exigé des pièces d’identités en plus. Du coup, des exposants se sont retrouvés coincés dehors pendant des heures. ↑
10 - Toujours selon le super convertisseur INSEE (https://www.insee.fr/fr/information/2417794 ), cela équivaut à environ 99 € aujourd’hui. ↑
12 - Comiket 98 : The very Best of par D.fender dans Ikari no Ryu n°3, automne 1998 ↑
13 - 119,91 Euros selon le convertisseur de l’INSEE ↑
14 - Même si je dois bien avouer que Cartoonist Paris m’a permis de vivre des expériences cocasses qui me font bien marrer aujourd’hui... ↑
15 - Du coup, si vous avez bien suivi mon récit, vous savez que je ne connais pas personnellement Olivier Gilbert, que je n’ai jamais eu affaire à lui. ↑
16 - C’est un jugement personnel, mais je trouve le livre d’Olivier Gilbert impudique et je suis gênée parce qu’il ne paraît pas se rendre compte qu’il exhibe son statut de privilègié (école privée, culture familiale, les magazines japonais qui coûtent si chers, mais heureusement, cela lui laisse assez d’économies pour payer une traductrice pour retranscrire les textes en français …). ↑
17 - Un événement de BD Franco-belge parisien qui a eu 2 éditions à ma connaissance... ↑
18 - p.172 de son livre
19 -http://www.festivalharajuku.org/ consulté le 27/02/2019 ↑
20 - Il était souhaitable de prendre conscience de la boulette assez tôt car même si les copies étaient inutilisables, il fallait les payer !↑